ASTRID* : un astre abandonné ? (Part 2)

* Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration

2. L’aventure française des RNR

2.1 Historique des réacteurs

Les RNR ont été développés en France sur la base de 3 réacteurs :

Rapsodie, démarré à 20 puis 24 MWth en 1967 et passé à « Fortissimo » 40 MWth en 1970. Réacteur à 2 boucles primaires avec circuits secondaires refroidis par des échangeurs sodium-air, il a permis de tester les grandes options technologiques : assemblage combustible hexagonal (compacité), aiguilles combustibles munies de fil espaceur (déformations), cuve suspendue (séisme), bouchon couvercle cœur instrumenté avec thermocouples de surveillance individuelle des assemblages (sureté, pilotage). Il a servi à améliorer les performances du combustible, principalement du gainage des aiguilles : 316 écroui, 316 hypertrempé, 15/15 Ti, ce qui a permis d’atteindre des records de taux de combustion (100 MW.d/kg). Le combustible MOX était un mélange 30%-Pu239 + U à 85% U5. Le réacteur a été arrêté en 1982 suite à des défauts d’étanchéité sur le circuit primaire.

Phénix, réacteur de 250 MWe de type intégré, a apporté la démonstration de la possibilité de maintenance des gros composants primaires : 17 échangeurs intermédiaires, 7 pompes et 17 mécanismes de barres ont été retirés du sodium, lavés, décontaminés, réparés et remis en service. Phénix a aussi montré la possibilité de boucler le cycle du combustible en 6 ans (taux de surgénération de 1,16), ce qui constitue une expérience unique au monde. Le réacteur a été arrêté en 2010 après des essais de fin de vie visant notamment à identifier la cause des AURN (arrêts d’urgence par réactivité négative), qui se sont produits en 1989 et 1990, sans qu’on ait réussi à en déterminer la cause, car ils ne sont plus reproduits lors du fonctionnement à 2/3 de puissance entre 2003 et 2008.

Superphénix, réacteur de 1200 MWe de type intégré, reprend la technologie du primaire de Phénix (réacteur intégré) mais améliore notablement la sureté des circuits secondaires et tertiaires : les 4 générateurs de vapeur sont isolés dans des casemates placées à l’extérieur de l’enceinte primaire. Malheureusement, une suite d’incidents vont émailler son démarrage : la fuite du barillet de chargement-déchargement du combustible, dès sa mise en sodium en 1987, obère lourdement les capacités opérationnelles de l’installation ; une pollution du sodium primaire due à une entrée d’air dans l’argon du ciel de pile occasionnée par la fuite d’une membrane de compresseur, détectée très tardivement – hors délai des prescriptions techniques, sape la confiance de l’autorité de sureté dans les capacités opérationnelles de l’exploitant. Le réacteur est arrêté en 1997 pour des raisons à la fois politiques et économiques. Le décret de mise à l’arrêt définitif est signé en 1998 ; commence alors une longue période d’assainissement, avec le retrait du combustible et des gros composants. Ce n’est qu’en 2017 que la cuve primaire peut être mise en eau, pour en poursuivre le démantèlement.

2.2 Synthèse des connaissances acquises

Avec Superphénix, la France a été à la pointe du développement industriel des RNR à la fin des années 80. En effet, le réacteur BN-600 n’a fonctionné qu’avec de l’uranium enrichi, sauf quelques expériences tardives avec du MOX. La France possède la technologie du retraitement industriel du combustible et a fait la preuve du multirecyclage avec Phénix. Les fuites de sodium (une trentaine à Phénix, dont 3 concernant le primaire) ont été détectées de façon précoce, et les feux contrôlés. Cinq réactions sodium-eau se sont produites à Phénix, suite à des phénomènes de fatigue thermomécanique au niveau des resurchauffeurs ; la détection d’hydrogène a permis de limiter les masses d’eau mises en jeu à 1 – 4 kg, sans conséquence notable. Le combustible s’est avéré d’une grande qualité de fabrication : sur 230.000 aiguilles standard irradiées à Phénix, on n’a observé que 6 ruptures de gaine. (Neuf autres pertes d’étanchéité ont eu lieu sur du combustible expérimental, dont les performances ont été poussées aux limites.) De fait, le système de localisation individuelle des assemblages défectueux de Phénix et de Superphénix, spécificité française, est un atout vis-à-vis du risque de pollution du sodium primaire par du plutonium.

3. Que reste-t-il à démontrer ?

Si la France a fait la preuve de la maîtrise de la technologie sodium[1], il reste à perfectionner quelques points[2] :

3.1 Effet de vide

Contrairement à l’eau (le passage à la vapeur rend la thermalisation des neutrons moins efficace, ce qui crée une contre-réaction neutronique négative), l’ébullition du sodium a un effet positif vis-à-vis des neutrons rapides et doit donc être rendue quasi-impossible par conception. A cette fin, le cœur d’Astrid est conçu pour présenter un faible coefficient de vidange : suppression de la couverture axiale supérieure, remplacée par un plénum de sodium ; combustible hétérogène, alternant axialement zone fissile et zone fertile ; plaque d’absorbants neutroniques disposée au-dessus du plénum sodium, de façon à favoriser la fuite de neutrons ; aiguilles combustibles de gros diamètre.

3.2 Récupérateur de corium

Un réacteur de 4ème génération ne pouvant présenter un niveau de sureté moindre que l’EPR, la qualification d’un récupérateur de cœur fondu, en matériau sacrificiel en céramique, est prévue dans le programme Plinius-2.

3.3 Pompes secondaires électromagnétiques

Elles permettraient de simplifier le dessin des circuits secondaires, et seraient, pour l’évacuation de la puissance résiduelle, plus fiables que des pompes mécaniques à rouet. Des essais ont lieu sur l’installation Pemdyn sur la base d’une conception basée sur le savoir-faire du partenaire Toshiba.

3.4 Échangeurs sodium – azote
Pour convertir la chaleur selon un cycle de Brayton, à la place de générateurs de vapeur, ce qui supprime le risque d’explosion d’hydrogène suite à une réaction sodium-eau. Des essais sont en cours dans l’installation Diademo-Na et devront être poursuivis à échelle 1 dans la future installation CHEOPS.

3.5 Inspectabilité des structures en sodium[3]

Le sodium présentant l’inconvénient d’être opaque, l’inspection en service sous sodium doit se faire par ultra-sons. Dès la mise en service de Phénix, un « VISUS » était installé lors des manutentions du combustible, pour vérifier qu’aucun assemblage ne risquait de bloquer la rotation du bouchon tournant (accident qui s’est produit sur le réacteur japonais JOYO et a provoqué un arrêt de sept années pour remise en état). Lors de l’inspection pour remise en service de Phénix après les AURN, des équipements ont été mis en place dans l’intercuve pour qualifier l’état des soudures du platelage qui supporte le sommier sur lequel repose le cœur. L’expérience acquise devra être développée pour que toutes les équipements d’ASTRID importantes pour la sureté (classés EIS) puissent être inspectables à 100 % par conception, en visant des inspections en temps masqué.

3.6 Combustible

Comme pour les REP, la consommation du combustible nécessite des arrêts de réacteur pour déchargement-rechargement des assemblages. La longueur d’un cycle d’irradiation entre deux arrêts de manutention est une donnée importante pour l’économie d’exploitation, aussi cherche-t-on à augmenter le taux de combustion des aiguilles de combustible. En termes d’énergie extraite par unité de masse de métal lourd, les irradiations dans Phénix ont permis d’atteindre 150 MWd/kg, valeur nettement supérieure aux REP (65 MWd/kg). Mais dans les RNR de puissance, la limitation provient des dommages neutroniques sur l’acier de gainage, évalués en déplacements par atome (dpa). Là encore, Phénix a atteint des records de 150 dpa avec des gaines en 15/15 Ti et des tubes hexagonaux en acier ferritique. On vise désormais les 200 dpa avec des gaines en acier ferrito-martensitique renforcé par dispersion d’oxyde (ODS : oxyde dispersed strengthened, typiquement Y2O3).

[1] www.cea.fr Les réacteurs nucléaires à caloporteur sodium – Historique et bilan de fonctionnement des RNR-Na

[2] Clefs CEA N°63 – Automne 2016

[3] On utilise couramment le terme « ISIR » : in service inspection & repair