ITER, un cas d’école pour l’Ingénierie des Systèmes

« ITER sera le plus grand tokamak au monde », telle est la volonté affichée par la direction du projet ITER qui rassemble 35 pays et vise à construire une machine qui doit démontrer que la fusion — l'énergie du Soleil et des étoiles — peut être utilisée comme source d'énergie à grande échelle, non émettrice de CO2, pour produire de l'électricité.

L’accumulation des complexités et des ambitions du projet Iter en fait un cas d’école pour l’ingénierie des systèmes.

Qu’est ce que l’ingénierie des systèmes ?

Selon l’InCoSE (International Council of System Engineering) : «L’Ingénierie Système est une approche interdisciplinaire pour permettre la maîtrise de la réalisation de systèmes complexes. Cette approche part de la définition des besoins du client, l’identification des fonctionnalités du produit et leur validation très tôt dans le cycle.» 

Les techniques et méthodes de l’IS visent principalement à maîtriser la complexité et le risque dans le temps et dans l’espace : ingénierie des exigences, structuration arborescente, cycle en V de la conception-réalisation et de l’intégration-validation, méthodes et outils de l’ingénierie concourante, gestion documentaire et technique intégrée, recours aux modèles et simulations, tout vise à maîtriser la complexité et à gérer les risques au plus près : technique, calendaire, financier, réglementaire…

Iter, un projet hors norme

Le projet cumule les complexités et les ambitions:

* technique et scientifique : nombre de composants, de technologies, de procédés, de couplages, défis technologiques et scientifiques etc. ;

* organisationnelle : nombre de partenaires, règles d’équilibre entre parties prenantes, règles imposées par le fonctionnement en mode projet mais avec un haut niveau d’expertise scientifique;

* industrielle, du fait de l’optimisation du lotissement du projet sur des bases autres que techniques, qui créent des interfaces artificielles supplémentaires ; mais aussi du fait de l’assemblage final et de l’intégration dans une installation nucléaire de base soumise à la législation française, pour les aspects sûreté nucléaire comme pour les aspects environnementaux ; les réglementations applicables en chantier sont évidemment françaises, mais les intervenants sur site seront de nationalités et de cultures industrielles et légales très diverses ;

* contractuelle : agences domestiques, intervenants sur site, conditions générales d’achats…;

* humaine : multiculturelle, y compris en termes de méthodes de management.

Iter est, par le changement de dimension géométrique et organisationnelle qu’il apporte, un FOAK (first of a kind) en rupture avec les générations précédentes de tokamaks, même si le JET, Tore Supra, JT 60 etc. étaient loin d’être des systèmes simples. Les générations successives de tokamaks n’ont pas été gouvernées par des préoccupations d’optimisation à partir d’exigences (approche systémique) mais par une dynamique de recherche scientifique.

On notera que le projet Iter a cependant fait l’objet de véritables opérations de re-engineering en redesign to cost : la version originale d’Iter,  aboutissement en 1998 des travaux EDA à la suite de la rencontre Reagan-Gorbatchev de 1985, était deux fois plus grosse que la version qui a finalement été validée et budgétée lors du lancement du projet en 2005. Depuis 2005, plusieurs actions de re-engineering partiel ont été menées, entre autres au vu de l’augmentation du devis et des délais de l’opération.

La conception générale d’Iter semble à présent figée ; il reste cependant un travail considérable de conception détaillée à mener sur certains composants, donc une petite marge de manœuvre de re-engineering. La préparation de l’assemblage final (passage des Engineering Work Packages aux Construction Work Packages et aux  Field Installation Work Packages) fournit aussi l’occasion d’une marge de redesign to cost (ou – to schedule, -to safety,  – to maintainability,-to risk etc.).

Management de projet versus Ingénierie Systèmes ?

Il ne faut pas confondre Ingénierie Systèmes et Management de Projets, même si les deux interagissent fortement.

Pour Iter, au delà de la démarche d’Ingénierie Systèmes, il ne faut pas sous-estimer l’approche management de projet global à mettre en oeuvre pour cadrer un projet dont l’ampleur est inégalable.

Le pilotage par objectifs, la méthodologie des jalons, des revues etc. bref une structuration du management du projet alignée sur les objectifs et les contraintes d’Iter, est un facteur de succès d’une ingénierie système réussie. En particulier, la séparation des rôles d’architecte et de maître d’œuvre en réalisation est importante ; elle semble apparaître dans l’appel d’offre Iter CMA (Construction Management as Agent).

L’importance de la mise en place d’indicateurs de pilotage

Si les indicateurs de pilotage sont en place, on peut mesurer la convergence (ou la divergence) d’un projet complexe par rapport à ses objectifs (qualité-coût-délais-risques). La question est plus difficile pour la complexité d’un système : existe-t-il une métrique permettant de mesurer le niveau de maîtrise de la complexité et son évolution dans le temps ? On peut sans doute en construire une au cas par cas, avec un mix d’indicateurs : nombre d’exigences gérées, nombre de composants validés/intégrés, nombre d’articles gérés en configuration, quantité de tâches gérées, quantité d’éléments dans les organigrammes (technique, de tâches, de moyens, de coûts…) etc. Ce ne serait pas un indicateur de pilotage mais un moyen de comparaison pour l’étude des systèmes complexes.