Tricastin : un article paru dans le Monde qui pour une fois évoque la sévérité de l’ASN

Les quatre réacteurs de la centrale nucléaire du Tricastin sont à l’arrêt. Sur ordre de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, émis le 27 septembre 2017. EDF a respecté l’ordre, tout en estimant que cela n’était pas nécessaire. Et, du 30 septembre au 4 octobre, les équipes du Tricastin ont successivement mis à l’arrêt les réacteurs, privant le système électrique des 4×900 = 3600 MW de puissance de la centrale. Cette décision et l’obéissance immédiate de l’industriel confirment l’effectivité du pouvoir de contrôle de l’ASN dont la décision ne peut être contournée, que ce soit par l’industriel ou par le gouvernement. Elles posent toutefois une question : l’ASN serait-elle trop sévère ?

L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), est en France l’entité qui assure les missions, au nom de l’État, de contrôle de la sûreté nucléaire, de la radioprotection en France (travailleurs du nucléaire, environnement, populations locales) et de l’information des citoyens « pour protéger les travailleurs, les patients, le public et l’environnement des risques liés aux activités nucléaires ». En 2006, elle est devenue une autorité administrative indépendante française (AAI). Elle est rattachée au programme budgétaire 181 « Prévention des risques » du Ministère de l’Écologie.

Au Japon, la nouvelle autorité japonaise de régulation du secteur nucléaire a présenté, en  janvier dernier, un projet de durcissement des normes de sûreté des centrales atomiques, afin d’éviter une autre catastrophe du type de celle survenue à Fukushima le 11 mars 2011 à la suite d’un tsunami. Cette instance, indépendante du gouvernement pronucléaire japonais, a été établie en septembre 2012 pour remplacer la précédente qui, trop inféodée au ministère de l’industrie, avait failli à sa mission.

L’Autorité de sûreté nucléaire française est-elle jusqu’au-boutiste ou trop laxiste ?

La question est paradoxale, mais elle se pose aussi après l’épisode des arrêts de réacteur décidés tant pour contrôler la sûreté de certaines pièces que suite à la découverte de dossiers de fabrication falsifiés chez Areva. En arrêtant ces réacteurs l’ASN poursuit la doctrine exigeante de la sûreté à la française : un processus d’amélioration continue, au-delà des normes requises lors de la construction du parc français. Ainsi, quand on ne vérifiait les propriétés du métal que sur les points les plus critiques d’une pièce, l’introduction d’une réglementation plus sévère (dite « ESPN « ) impose maintenant de les assurer « en tout point ». C’est trop sévère pour certains par exemple « l’autorité de sûreté américaine n’exige pas la remise continuelle aux normes ». Pour certains experts, c’est trop précipité et réalisé sans penser au rapport entre le risque et le coût.

Pour la première fois en octobre 2017, le mot falsification a été prononcé par le président de l’ASN Pierre-Franck Chevet. Au Creusot, l’Autorité vérifiait que les données des procès-verbaux de fabrication qui lui étaient présentés par Areva correspondaient bien aux normes attendues, mais ne réalisait elle-même aucun test contradictoire à même de déceler une incohérence ou une fraude. Idem ou presque du contrôle d’EDF sur son sous-traitant Areva.

«Dans les années 1980, avant les plans ISO 9000, l’ASN et EDF avaient des contrôleurs dans les usines. Puis on est passé à un système d’assurance qualité qui a introduit la notion de confiance, parce qu’il fallait responsabiliser l’exécutant « . « La sûreté n’est pas une science exacte, c’est une suite de compromis « , comme le rappellent certains « experts  sureté ». Mais, aujourd’hui, il y a de la confusion et une confiance qu’il ne faudrait surtout pas ébranler, Les idées de réduction des coûts de la sureté émergentes de puissances comme les USA doivent rester difficiles à justifier dans un pays qui compte presque un réacteur nucléaire par million d’habitants. Dans son rapport qu’il avait sous-titré « La longue marche vers l’indépendance et la transparence », le parlementaire mettait ainsi en cause l’éclatement des responsabilités de contrôle, l’insuffisance du contrôle de la radioprotection et la faiblesse des bases juridiques du nucléaire en France qu’il ne faudrait surtout pas recréer.

 

Le contexte de la création de l’ASN

Lors de sa création, le député Jean-Yves Le Déaut avait recensé pas moins d’une vingtaine de services dépendant de six ministères qui étaient impliqués dans le contrôle de la sûreté nucléaire : « Un émiettement des responsabilités qui génère des conflits permanents entre départements ministériels, lesquels conduisent à l’immobilisme. »
Le droit nucléaire en France était bâti autour d’un fragile article d’une loi de 1961 sur la pollution de l’air, sans qu’il existe de loi fondatrice sur l’énergie nucléaire, énonçant les grands principes d’organisation et de transparence du nucléaire, comme dans les autres grands pays nucléaires.

Jean-Yves Le Déaut avait plaidé pour une simplification du système de contrôle, avec la création d’une autorité administrative de radioprotection et de sûreté nucléaire, indépendante des exploitants et du gouvernement.

Pour s’assurer du fonctionnement des centrales nucléaires françaises dans les conditions optimales de sûreté, des dispositions sont donc prises à tous les niveaux. La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques, humaines et organisationnelles mises en œuvre à toutes les étapes de la vie d’une installation nucléaire pour protéger, en toutes circonstances, la population et l’environnement contre une éventuelle dispersion de produits radioactifs.

Ces dispositions sont prises en compte dès la conception de l’installation, intégrées lors de sa construction, renforcées et toujours améliorées pendant son exploitation. Elle repose sur la mise en place de lignes de défense successives et indépendantes, que l’on appelle la défense en profondeur.

Pour s’assurer du respect des exigences de la réglementation, l’État a chargé l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) du contrôle strict et régulier de cette sûreté nucléaire. Elle est la seule habilitée à autoriser la mise en service ou la poursuite de l’exploitation d’une centrale nucléaire en France. En plus des contrôles internes, les inspecteurs de l’ASN effectuent plus de 450 contrôles par an, de manière programmée ou inopinée, sur l’ensemble des installations. Ces installations sont également régulièrement évaluées au regard des meilleures pratiques internationales par les inspecteurs et experts de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA). Pour notre sérénité, il est important que cette sévérité continue et que l’ASN reste « notre gendarme du nucléaire ».

Mais les recommandations de l’ASN sont-elles vraiment suivies d’effets ?

La Direction des Centrales Nucléaires de l’ASN, considère que l’autorité dispose « d’un panel d’outils qui lui permettent de se faire entendre ». Qu’il s’agisse d’inspections programmées ou déclenchées à la suite d’un incident, l’ASN est chargée de contrôler à la fois l’organisation des sites, en prenant en compte les compétences, la formation et le recrutement du personnel, et le matériel « en fonction des enjeux de sûreté ». A la suite des inspections, l’ASN fait « des demandes d’amélioration, formalisées par lettre. Dans cette lettre, l’ASN donne à l’exploitant un délai de réponse et de mise en œuvre des actions préconisées. S’il tarde à répondre, on peut retourner en inspection et voir l’avancement des actions ». Si l’exploitant ne réagit toujours pas, l’ASN a toute latitude pour prendre des mesures contraignantes. Ce sont des mesures administratives via des décisions officielles, des mises en demeure devant la justice qui soumettent l’exploitant à des sanctions pénales, et enfin des suspensions temporaires ou définitives de l’activité.» Le système n’a pas été remis en cause après Fukushima.

Ce système d’allers-retours de courriers, réponses, inspections et plans d’action n’a pas été remis en question après la catastrophe de Fukushima. On a considéré en France que les mesures prises par les exploitants allaient dans le bon sens, tout en disant qu’il fallait rester vigilant », l’arrêté de février 2012 complète les mesures législatives remises au gout du jour.

Certes vu de l’opinion de certains, l’ASN pourrait donc paraitre trop sévère mais comment justifier une assurance du zéro accident qui n’existe pas lorsque le nombre d’incidents reste malheureusement stagnant ? Cependant, tendre vers cette limite, le « gendarme du nucléaire français » s’y emploie et personne ne pourra lui reprocher cette option doctrinaire.