Interview d’André – Expert en Direction de projets et de chantiers en Maîtrise d’Oeuvre

Fort d’une carrière menée dans l’industrie, principalement en Maîtrise d’œuvre, avec des responsabilités qui ont évolué de la direction de chantier à la fonction de Chef de Projets puis à la direction d’activité, André s’est forgé une expertise précieuse. Ces fonctions diverses lui ont permis d’acquérir des compétences incontestables en matière d’ingénierie, MOE et MOA. Ses années d’expérience, d’une richesse et d’une diversité hors du commun, lui ont également permis de développer une liberté de parole alliée à une envie forte de partage.

André nous raconte avec humilité sa carrière et son élan actuel pour « mener de pair retraite et expertise [sic] »

Quel a été votre parcours ? Diplômé de la 1ère promo de l’IUT Brest/Bretagne (DUT mécanique) en 1968, je suis un semi-autodidacte. J’ai fait carrière dans l’industrie, sidérurgique, nucléaire et chimique, et participé à la réalisation d’importantes usines de procédés en France et à l’international.

J’ai débuté chez SOFRESID (filiale ingénierie du groupe Usinor/Sacilor), en plein âge d’or de la sidérurgie, sur le projet de l’aciérie N° 2 sur le site d’Usinor/Dunkerque, puis préparé l’arrêt programmé du haut fourneau N° 4 à Dunkerque – à l’époque le plus grand d’Europe : plusieurs mois de préparation mobilisant environ 1000 personnes en pic pendant 100 jours.

J’ai également participé à la construction du complexe sidérurgique El Hadjar à Annaba en Algérie (1974/1975) : projet mené bien sûr sans internet, avec parfois des coupures de téléphone durant 15 jours consécutifs, un service courrier assuré en pointillés et avec l’intervention de valises diplomatiques, des prises de décisions malgré tout sur des réalisations à mener parfois sans documents d’étude !! Début des années 70. Une autre époque.

J’ai rejoint ensuite USSI Ingénierie puis SGN (ingénieries du groupe Cogema) en 1976 et exercé différents « métiers » pendant 33 ans, de Coordonnateur de travaux à directeur de Chantier puis Chef de Projet et Directeur d’Activité au sein d’une BU. J’avais pour mission la réalisation d’unités industrielles sur une durée moyenne de 2 à 5 ans, avec des investissements pouvant atteindre un milliard € :

  • Coordonnateur TCE pour la réalisation des usines d’enrichissement d’uranium (Projet EURODIF) : Interfaces entres les métiers, interlocuteur des études, responsable de la tenue du planning d’ensemble de la construction, préparation des unités fonctionnelles pour démarrage des essais
  • Unité de traitement du combustible des centrales graphite/gaz sur le site Cogema Marcoule : Adjoint au Directeur de Chantier chargé particulièrement de la tenue du planning et de la coordination TCE
  • Chantier de Retraitement de la Hague : Directeur de Chantier de l’unité de vitrification des produits de fission (atelier R7), du greenfield à la mise en route de l’usine. (2 millions d’heures productives, 300 000 heures de Maîtrise d’œuvre environ, durée : 5 ans). Le Directeur de Chantier avait également en charge la gestion des marchés de travaux y compris l’analyse et la négociation des réclamations souvent de plusieurs millions d’euros
  • Station de traitement des effluents de Marcoule, EVA : Directeur de Chantier (2 ans environ)
  • 1994 : Fusion des 2 ingénierie USSI et SGN
  • Unités W2 (Défluoration) et TU5 Transformation de l’uranium, nitrate d’uranyle) : Directeur de Chantier (2 ans environ)
  • Réalisation de l’unité Incinération Centraco Marcoule (MOA : SOCODEI : pour le compte d’EDF et de COGEMA), Direction de la réalisation et des essais, et de la gestion globale du projet en pied d’ouvrage la dernière année. Durée 5 ans, Investissement 100M€, chantier 350 pers, ingénierie 30 personnes en moyenne. Contrat de Maîtrise d’œuvre au forfait, avec bonus à la clé basé sur le respect des coûts et des délais (gestion rigoureuse avec suivi permanent des évolutions)
  • Extension de Melox, stockage des crayons/combustible japonais, Projet d’étude et de réalisation des BAG, (traitement des rebuts) dans le cadre du démantèlement d’une unité MOX à COGEMA/Cadarache : Chef de Projet de ces 2 unités en parallèle

De 2005 à 2009 (clap de fin). Au sein d’une BU de SGN, directeur d’activité en charge des projets « chimie de l’uranium » (phases études faisabilité/APS/APD et réalisation, chaque projet est dirigé par un Chef de Projet ; parmi les principaux projets :

  • COMURHEX (Etudes APS/APD puis ingénierie de réalisation de 2 nouvelles usines de conversion de l’uranium sur les sites COGEMA Malvési et Pierrelatte. Unités en exploitation Etudes de traitement des Lagunes)
  • URT (Unité de conversion de l’uranium de retraitement) : Phases APS/APD
  • Station de traitement des effluents d’AREVA/Pierrelatte : phases études de procédé et APS uniquement
  • Unité de Conditionnement de l’uranium enrichi : APS/APD, ingénierie de réalisation ; unité en exploitation
  • Traitement des Effluents des lagunes sur le site de Malvesi : Recherche de procédé, qualification d’un procédé, APS avec estimation de l’investissement (réalisation du projet en cours)
  • Divers projets à la demande de la Maîtrise d’Ouvrage : études de procédé, dossiers de sûreté, aménagement de sites

Comment résumer votre profil ? Aptitude au management de la maîtrise d’œuvre de projets et de grands chantiers industriels :

    • Direction des équipes pluridisciplinaires de la maîtrise d’œuvre (études, approvisionnements, réalisation)
    • Coordination des entreprises tous corps d’état, gestion de grands marchés travaux

D’où vous est venu cet intérêt pour les projets industriels ? D’une part on m’a fait confiance, d’autre part je suis curieux et avide d’apprendre. Les projets et les chantiers me passionnent. Réussir à manager des intervenants dans toutes les disciplines de l’ingénierie et voir le projet aboutir est une énorme source de motivation et de satisfaction. Même si les responsabilités se traduisent aussi par des moments de pression et de stress, c’est énergisant.

Vous avez travaillé en tant que directeur sur de grands projets, ces réalisations vous ont-elles laissées des souvenirs particuliers ?  J’ai beaucoup de souvenirs. Ceux qui m’ont particulièrement marqué sont liés à l’esprit d’équipe, aux relations entre les intervenants qui doivent être fortes mais aussi les décisions tranchées et rapides qui doivent être prises. (Choix techniques, mobilisation et gestion des ressources) parfois apparaissent aussi des situations rocambolesques liées à la personnalité souvent forte, des gens de chantiers !

Quelles sont les difficultés que vous avez le plus rencontrées au cours des grands projets ?
Des difficultés récurrentes, j’ai retenu l’importance de toujours anticiper et de ne jamais subir, analyser les urgences, gérer les interfaces, gérer les informations parfois contradictoires, venant par exemple des études, des entreprises et du client.

Avez-vous la nostalgie de ce que vous n’avez pas fait ? Je ne suis pas nostalgique, j’aurais aimé travailler sur une plateforme pétrolière, être sur un grand chantier offshore, mais, pour des raisons familiales je n’y suis pas allé et je ne regrette pas. Je me suis toujours régalé dans ce que j’accomplissais, animé par la découverte de nouveaux apprentissages.

Comment définissez-vous votre rôle aujourd’hui ? Je suis retraité actif : lecture au quotidien, vélo et rando plusieurs fois par semaine, équilibre entre vie de famille et missions d’expert ; je suis membre du club des experts AJR Conseil. Ce qui est essentiel à mes yeux est à la fois de suivre l’évolution et d’essayer de transmettre.

Comment êtes-vous récemment intervenus en qualité d’Expert ? Durant mes missions d’expert, j’échange beaucoup sur les méthodes de travail : améliorer l’organisation et la gestion de projet, faciliter la gestion des interfaces (études et exécution), piloter efficacement le projet, organiser les actions dans le bon ordre, anticiper et faire face aux risques…

Racontez-nous les conseils que vous aimez distiller auprès des ingénieurs ? Mes 3 conseils : Planning – Planning – Planning ! L’anticipation est nécessaire au bon déroulement d’un projet et exige de l’organisation. Pour ce faire, le planning est un axe directeur essentiel. Il révèle ce qui va bien et ce qui ne marche pas sur un projet. Un planning respecté, démontre en général une bonne maîtrise technique. Un planning non maîtrisé conduit systématiquement à une dérive des coûts.

Par ailleurs, toutes les évolutions et les modifications (internes et client) doivent être gérées et tracés au fil de l’eau, accepter ou refuser une modification rapidement après analyse technique planning et coûts.

Quelle est la qualité requise pour cultiver votre dynamisme  : La curiosité

Comment imaginez-vous l’évolution du monde de l’industrie ? La désindustrialisation des 30 dernières années a fait du mal à la France. A force de vouloir passer à une société de service, nous avons perdu des compétences techniques et de fait les ressources (la durée des projets est bien plus longue, à mon avis de l’ordre de 150 % parfois plus (exemple : la centrale de Flamanville. Par ailleurs la lourdeur des administrations rend très difficile la mise en place de projets industriels (exemple plus de 10 ans pour construire un champ éolien en mer, plusieurs années pour avoir les autorisations pour les agriculteurs de construire des méthaniseurs (vive l’écologie contradictoire !!!)

Le manque de priorités données aux investissements industriels a entrainé une telle perte de connaissances et de mains d’œuvre qualifiées qu’il va être difficile de remonter la pente. Notre force de frappe est à reconstituer

Le principal trait de votre caractère : persévérant-tenace

Votre truc anti-stress : tout oublier le temps d’un week-end

Votre geste écolo : A vrai dire, je n’adhère pas à cette sensibilisation sur-jouée de bonnes pratiques écolo des bons citoyens. L’écologie fait naturellement partie de mes valeurs, par essence je suis écocitoyen et je pense que les gestes écolos découlent simplement du civisme de chacun. Ne soyons pas dupes, les enjeux sont autres : internationaux, industriels, énergies.  Il est très difficile d’être objectif sur la réelle analyse de la situation d’autant plus que certains présentent une lecture idéologique du sujet.  Il est urgent de légiférer à l’international, mais cela sera très difficile eu égard aux situations tellement différentes d’un pays, d’un continent à l’autre. Je suis inquiet pour les générations futures.

Le livre qui vous accompagne : J’adore l’histoire, je termine en ce moment la trilogie de Napoléon, c’est passionnant.

Un héros d’enfance : Zorro

Une appli indispensable : aucune m’est indispensable même si j’utilise régulièrement Google Map

Votre Madeleine de Proust : Un plat breton : le Farz Gwiniz Du qu’on appelle aussi Kig Ha Farz

Ce que j’aime le plus : voyager, le prochain sera la Norvège et le Spitzberg, mais je peux aussi être casanier

La question choisie par André : ce qui a été essentiel dans ma carrière : la stabilité familiale.

© Photo : André

Fleuron de l’industrie sidérurgique algérienne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Complexe_sid%C3%A9rurgique_d%27El_Hadjar

La recette du Farz Gwiniz Du : http://www.recettes-bretonnes.fr/plats-bretons/recette-kig-ha-farz.html

A lire : La trilogie consacrée à la vie et au règne de Napoléon de Dominique de Villepin

Club des experts AJR Conseil : https://www.ajrconseil.com/le-club-des-experts/

© Interview réalisé le 12/02/2020 par www.ajrconseil.com, tous droits réservés