11/05/2020
Après avoir bousculé nos habitudes du jour au lendemain, perdu nos repères puis retrouvé un nouvel équilibre, nous entrons dans l’ère de l’après-confinement. Qu’allons-nous retenir de ces 2 mois de confinement ? Quelle place donnerons-nous aux récents apprentissages et aux diverses prises de conscience ? Sommes-nous réellement prêts à changer ?
C’est avec notre invitée du mois, Nataly Chevrier, consultante RH, canadienne-québécoise installée en France depuis bientôt trente ans (!) de nature vive, optimiste, humaine et engagée, que nous avons partagé ce questionnement. Nataly nous raconte son parcours de confinée, ses remises en cause et ses inspirations actuelles. Elle nous confirme que la période est inspirante et source de créativité.
Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? Je fais mon possible, comme dit la chanson québécoise. (Diane Dufresne)
Je suis Consultante Relation Entreprise à l’APEC. J’accompagne les entreprises dans leur développement RH :
J’interviens en tant que conseil dans le recrutement, l’intégration des nouveaux collaborateurs, la marque employeur, la conduite de l’entretien professionnel, les pratiques non-discriminatoires et notamment les thématiques fortes telles que l’inégalité homme/femme, l’intégration des seniors, du handicap…
J’ai également un rôle d’information auprès des entreprises sur le marché des cadres, ses évolutions et tendances.
Parle-nous de l’évolution de ta semaine type : Avant le confinement je passais 30% de mon temps en télétravail :
- 40 % de mon temps en rdv Client
- 15 % = animation d’ateliers (dans les locaux de l’APEC ou chez les partenaires)
- 15 % = suivi de projets RH, accompagnement recrutement, dossiers divers, gestion du portefeuille client (télétravail)
- 15 % = veille, recherche documentaire, préparation de rdv (télétravail)
- 15 % = réunion hebdomadaire avec l’équipe locale ou régionale, à Avignon, Aix ou Marseille
Dès le démarrage du confinement je suis passée à 100 % en télétravail.
C’est un mode très approprié à certaines de mes activités (réflexion prospective, préparation de matinales/ rdv client/ réunions internes…). Mais par ailleurs, il a fallu beaucoup d’adaptation.
Les rendez-vous en entreprise se sont arrêtés du jour au lendemain. Et les demandes des employeurs (managers, dirigeants, chefs d’entreprise) ont diminué… Cela a libéré du temps pour prendre du recul sur l’activité et réfléchir à l’évolution de notre offre de service, tant dans le contenu que sur la forme...
Quels sont les enjeux de ton métier dans le contexte actuel ? Le ralentissement de l’activité a plongé les entreprises en gestion de crise. En période de confinement, les cadres sont entrés en réflexion sur leur évolution professionnelle, quant aux employeurs, ils étaient en état de sidération. Leurs projets recrutement et RH se sont immédiatement figés. Comment accompagner les entreprises dans ce contexte ? Et à la reprise ?
Les 1ères semaines de confinement ont été compliquées. Mes collègues et moi étions dans l’interrogation : Quel sens donner à nos missions ?
L’APEC a été très agile avec notamment le lancement de web-ateliers : transfert du présentiel dans un format 100 % numérique, plus court plus adapté, promu par des campagnes de communication via le site web et nos portefeuilles client à l’échelle nationale.
L’APEC a cherché à être pertinent et complémentaire des nombreuses offres d’informations émergentes sur le marché (CPME, CCI, Creativa, pôles de compétitivité, etc.), sans démultiplier les contenus ni harceler ses clients.
Nous avons rapidement mis en place un « web-échanges de pratiques » pour nos clients. L’occasion pour des responsables RH et des chefs d’entreprise, ayant l’envie et le besoin de partager, d’échanger sur les pratiques du moment, leurs actions et réactions (comment avez-vous réagi, quelles difficultés avez-vous rencontré, qu’avez vous mis en place, de quoi aimeriez-vous parler…). Les sessions étaient très interactives et riches. Beaucoup de retours sur la façon dont les plans de confinement ont été mis en place, le besoin d’accompagnement des salariés et de soutien auprès des managers opérationnels dans cette période difficile pour certains, et la forte la nécessité de rassurer les équipes, et de communiquer de façon soutenue sur les gestes barrières notamment en production…
En somme, un partage entre pairs RH et entrepreneurs sur l’expérience d’une gestion de crise, dans certains cas avec une Direction peu communicante, des enjeux forts de motivation pour soi-même, pour les managers opérationnels et pour les salariés et une nécessité de garder le cap dans cette période où l’on navigue à vue.
Peux-tu nous parler d’autres nouveautés dans ton métier ? Notre offre de service d’accompagnement au recrutement reste centrale, mais nous réfléchissons aussi à de nouvelles prestations qui prennent en compte l’actualité des entreprises et nous allons les accompagner au mieux. Des groupes de travail se sont mis en place à l’échelle nationale 1ère semaine de mai pour préparer les services que nous proposerons au sortir du confinement.
En local, nous réfléchissons déjà au lancement d’événements de mises en relation à distance entre cadres et entreprises. Il s’agit de créer une rencontre entre une entreprise qui recrute et des cadres en recherche active dont le profil est en phase avec les besoins en compétences à court ou moyen terme de celle-ci.
Nous adapterons ce que nous avons initié en mars, avec l’entreprise FDS (France Détection Service) ; Emilie Avias Dirigeante, et Nadège di Martino, RRH, sont venues à la rencontre de cadres pour échanger sur la culture de l’entreprise et sur les postes à pourvoir. Trois cadres ont été ensuite reçus directement en entretien sur des postes à pourvoir.
Ces événements sont très intéressants car ils permettent de faire connaître des entreprises, des « pépites » comme nous avons coutume de dire avec mes collègues avignonnaises, souvent méconnues des cadres. C’est aussi l’occasion de mieux cerner le contexte et les besoins des entreprises que nous accompagnons.
J’ai envie d’aller vers de nouveaux clients, bien choisir l’entreprise, dans le besoin de recruter des postes transversaux plutôt que techniques.
Pourquoi cette mobilisation sur le recrutement ? L’APEC répond à une mission d’intérêt général et doit veiller à sécuriser les recrutements, aider les TPE/PME à mieux recruter, à fidéliser.
Jusqu’à la crise du COVID-19, les besoins en recrutement cadre était en forte hausse, avec des recrutements qui sont passés de 10 850 à 17 250 sur la région Sud entre 2016 et 2019. 2020 annonçait aussi un « grand cru » de recrutements cadres (18 120 recrutements cadres annoncés)
Les causes de cette embellie sont diverses : départ en masse des baby-boomers à la retraite, évolution des métiers, et nouveaux besoins en compétences, augmentation du taux d’encadrement.
Or, depuis le début du confinement, on constate 40 % d’offres cadre en moins sur le site de l’APEC au niveau national (-40 % sur Avignon en date du 11/05/2020).
Il y a un donc un fort attentisme de la part des entreprises, même si la situation est très contrastée selon les secteurs d’activité.
Raconte-nous ton lancement dans les web ateliers Apec : En plus des échanges pratiques en ligne, l’APEC a lancé à l’échelle nationale des web ateliers thématiques, au quotidien : une heure trente, avec 6 participants en moyenne (vs 8-10 en présentiel en hebdomadaire), sur base d’une offre nationale relookée, retravaillée.
L’inscription se fait via le site Apec.fr, sans limite géographique ni sectorielle, sur les thématiques RH adaptées à la situation actuelle (recruter à distance, intégrer en période de turbulence, profiter de la période de télétravail pour conduire les entretiens professionnels, etc,). Ces réunions sont non-nominatives (le conseiller APEC animateur du web atelier se présente en démarrant l’atelier et non à l’inscription).
J’étais réfractaire au début. J’imaginais difficilement créer de l’interactivité avec un groupe ainsi composé, sans prise de contact préalable, qui plus est, avec des clients répartis sur l’ensemble du territoire national.
J’ai adopté de nouvelles techniques d’animation : plus directive, plus concise, je veille également à poser des questions à la volée, nommer et donner la parole aux participants, sans attendre que l’un réagisse et, utiliser les blancs à bon escient.
La caméra est souvent coupée faute de bande passante, il faut aller chercher les participants, et faire plusieurs « tours de table » durant l’atelier, repérer ceux qui ont plus de choses à dire, leur donner la parole pour témoigner.
Il y a une forte appétence pour ces ateliers. Profil des participants : RH, quelques chefs d’entreprise, quelques consultants recrutement, tout secteur d’activité, toute taille d’entreprise, diversité à l’image de la clientèle APEC.
De tes activités confinées que garderas-tu ? J’aimerais organiser des ateliers dédiés spécifiquement aux territoires éloignés et isolés (départements 04 et 05 pour mon secteur). Je veux me rapprocher de ces entreprises qui ne peuvent se déplacer, les solliciter et être plus proactive. Les web-ateliers du confinement ont réussi à mobiliser des personnes qui ne connaissaient pas l’APEC et à créer des échanges personnels entre pairs. Je souhaite maintenir cette impulsion.
Je veux également continuer à lever les freins dans la mise en relation à distance. Pour cela je vais continuer à développer des techniques d’animation propres à ce format de réunion.
Nataly, parlons des impacts dans la vie personnelle. Ta routine de confinée : Avant, aucune journée ne se ressemblait, aujourd’hui je ne sais plus quel jour on est. Ma journée est structurée, répétitive et fondée sur l’hygiène de vie. A force d’entendre, de lire et de dire « prenez soin de vous », l’expression devient un mantra (« work life balance », pratique du sport, bien manger, …).
Je suis l’actualité de manière organisée. Je m’informe le matin et le soir, pas plus. Je refuse les écrans après ma journée de travail. Le soir je plonge dans un roman pour me dépayser et me ressourcer. Je fuis l’écran.
Tes découvertes en temps de confinement : En confinement, l’espace de vie a changé, il s’est réduit et se résumait à la maison. Aussi, je me suis lancée dans des réaménagements pour rendre chaque pièce plus agréable. Mon bureau est bien plus personnalisé et rangé, j’ai mis en avant mes livres préférés, ceux que j’ai lus et mes prochaines lectures.
Je retrouve mes classiques comme par exemple John Steinbeck « A l’Est d’Eden », c’est un régal !
Par ailleurs, je me sens encore plus proche de la nature. J’ai l’impression que mes sens sont exacerbés. Je suis plus disponible et réceptive peut-être parce qu’il y a moins de stimulations humaines. C’est une fenêtre de liberté.
J’ai conscience de la maladie, de la souffrance et des situations difficiles de certains. Je reconnais que pour moi c’est une période fantastique. Confinement ensoleillé par le rapprochement familial, la remise en question de pratiques professionnelles, les réflexions de vie, la nature qui s’éveille…
Crois-tu que la crise sera un accélérateur de changement ? Je n’y crois pas trop. Je suis une personne optimiste mais le changement requiert des efforts dans la durée. Je crains que le naturel revienne au galop. J’espère me tromper.
Cela dépend des individus, de l’âge, etc. Mais au même titre que le télétravail et l’adoption des outils à distance a mis en difficulté certaines personnes et a réussi à d’autres, les habitudes seront difficiles à changer pour certains (consommer moins, ralentir le rythme de vie…etc…)
Me concernant il est un peu tôt pour analyser si cela va être un accélérateur.
Ce qui a été le plus difficile pour toi en confinement : J’aime voir du monde, aller à la rencontre des gens. Mes rendez-vous professionnels sont l’occasion de découvrir des nouveaux lieux, des nouveaux univers, de nouvelles personnes…ces voyages me manquent.
Mes amis, mes collègues et tous les moments de convivialité (marché, sortie ciné, restaurant…) me manquent.
Un mot pour qualifier ta période de confinement : Introspection
Qu’as-tu appris sur toi pendant le confinement : J’ai développé la patience (indispensable dans le cadre de l’organisation de visio-conférences !), et retravaillé l’écoute (besoin de se concentrer différemment en web-atelier, l’écoute associée à l’animation à distance nécessite une attention et des pratiques particulières car on n’a pas les indicateurs non-verbaux de nos interlocuteurs surtout quand la caméra est éteinte…)
Ce que tu retiendras du confinement : J’ai réalisé l’importance d’aller chercher la motivation en soi, de manière plus intrinsèque. Etant moins stimulée par l’extérieur et moins sollicitée, il est nécessaire de créer une dynamique, d’être encore plus actrice de sa motivation. Et, c’est comme cela que je vois la suite.
T’es-tu dit toi aussi pendant cette crise « Et si je faisais autre chose ? Pas fondamentalement, mais je me suis questionnée sur le sens de mon travail.
Une blague de confinement à partager ? J’oublie toutes les blagues, même les meilleures !
Une situation incongrue : le perroquet d’un participant connecté en visioconférence.
Une prise de conscience que tu as envie de partager : Les mots changent de sens : le télétravail en confinement ne ressemble pas au télétravail tel que je le connaissais puisque les activités qui se pratiquent normalement en face à face se font maintenant à distance, comme les rendez-vous clients par exemple.
« Sortir » pour aller à moins d’un kilomètre, est-ce vraiment sortir ? Se promener seulement une heure, est-ce vraiment se promener ?…
Pour aller plus loin : Un livre toujours d’actualité sur le changement : « Managing transitions » de William BRIDGES (25ème édition), notamment le chapitre 4 sur la zone neutre…traduit en français. Il a écrit un ouvrage sur le changement dans les organisations et un autre sur les transitions personnelles.
© Interview réalisé le 11/05/2020 par www.ajrconseil.com, tous droits réservés
© Photo proposée par notre invitée