10/06/2020
Un expert industriel nous présente des actualités positives. On aime !
Dans ce nouvel entretien, nous partons à la rencontre d’un homme discret et engagé, mobilisé pour aller vers un monde juste. Consultant indépendant, polytechnicien, au parcours très industriel, avec une forte culture de la performance et de l’éthique des affaires. Toujours à partager ses idées, à aider s’il le peut et à s’adapter pour découvrir et progresser. Nous parlons d’informations positives et de changements.
Laurent, peux-tu nous résumer ton parcours en 3 phrases ?
30 années dans l’industrie, en management de projets, ingénierie puis production et chantier chez Naval Group (France et exportations), des responsabilités achats et commerce international chez AREVA.
Et ensuite, 3 années en fonds d’investissement (évaluation industrielle des participations, réalisation de due diligence).
Expertise des secteurs Energie, Défense & Sécurité, Transport maritime.
Quelle est ton activité aujourd’hui ? Consultant en ingénierie système, management de projets et RSE depuis 2015, je suis également expert chez AJR Conseil (« Club des Experts ») et consultant référencé ISO 26000 chez Label Lucie. Ah oui, et aussi manager de transition chez « Louerunmanager ». Basé à Aix en Provence, avec un rayonnement sur toute la France, le Royaume-Uni et l’Italie ! Mais pas autant que je voudrais en Région Sud (y compris Avignon) : on ne choisit pas toujours ses clients !
Pendant le confinement, j’ai animé des webinars sur la Continuité d’activité et la gestion de crise, puis sur la Reprise d’activité et l’organisation pour le déconfinement. Basés sur mon expérience dans la construction navale et le transport maritime (notamment Dockers en 1991, changement de statut DCN en 2001) et durant la pandémie H1N1 en 2009-2010 chez AREVA.
Et, quels sont tes moteurs professionnels ? Ayant une formation d’ingénieur, la technique a été le moteur de mes 10 premières années : l’envie de maîtriser l’ingénierie, l’approche technique des choses, les systèmes.
Dans un 2nd temps, les questions de sécurité et défense, de stratégie et complexité sont devenues et sont toujours des sources de motivation. C’est passionnant d’essayer d’avoir une vue d’ensemble et de trouver des leviers.
Au fil de l’eau, les dimensions internationales et interculturelles ont également été très énergisantes car associées à des défis de taille. Je pense notamment à mes interventions sur 2 projets phare : Frégate Horizon, dans le cadre d’une coopération entre la France et le Royaume-Uni initiée en 1990, puis le projet ITER, initié en 2005 et réunissant un consortium de 35 pays. Dans ce dernier cas, c’est à la fois un « rêve d’ingénieur » (ou un cauchemar) et un projet interculturel d’une complexité et d’un intérêt inégalés. Le plus grand projet scientifique mondial actuel, dans un secteur utile puisque c’est celui de l’énergie de demain.
Depuis quelques années un questionnement a pris une importance particulière dans mon orientation professionnelle : la RSE (Responsabilité Sociétale d’Entreprise) le rôle de l’entreprise dans la société. Sans doute une façon de commencer à récapituler ma vie professionnelle pour transmettre ce que j’ai appris.
Effectivement la RSE est un sujet moderne mais aussi très théorique et optionnel. A-t-on raison d’y croire ? C’est un enjeu de plus en plus concret. Une rupture s’opère actuellement. La question récurrente pour l’entreprise, la finance, les différents services, produits, métiers est posée : « au service de quoi ? ». On voit bien qu’il y a un écart de plus en plus grand entre la façon dont l’économie fonctionne et les vrais besoins des gens. La machine financière s’emballe et domine tout.
Bien avant la crise sanitaire, on constatait que la finance (banques et marchés financiers) avait un poids trop important, avec des objectifs de rentabilité élevés, et des objectifs de réinvestissement réduits (les fusions-acquisitions sont basées sur des promesses de rentabilité qui ont tendance à « pressurer » les entreprises plus qu’à assurer leur avenir). Le mouvement de la RSE prend en compte à la fois l’utilité de ce que fait l’entreprise pour les besoins de la société, l’impact sur la planète, les retombées (positives de préférence) sur les territoires où elle est implantée, la façon dont elle obtient ses résultats (ce qu’on appelle l’éthique d’entreprise). Sans perdre de vue la performance économique, qui est la condition de tout le reste !
Depuis une dizaine d’années, on voit un mouvement de plus en plus fort vers la prise en compte des résultats autres que purement financiers de l’entreprise, par les investisseurs, les analystes financiers, les entreprises elles-mêmes (peuplées de gens qui sont aussi des citoyens !), les collectivités territoriales, les ONG… Et comme l’entreprise est une des rares choses à peu près stable dans la société, on lui demande beaucoup et on transfère sur elle un maximum de responsabilités.
Les entreprises de plus de 500 salariés (et plus de 40 ou 100 M€ de CA selon le cas) publient maintenant chaque année une déclaration de performance extra-financière (DPEF) et des indicateurs, qui portent par exemple sur : actions de solidarité, empreintes carbone, commerce équitable, participation, environnement, mécénat… Les bénéfices de ces entreprises ne partent pas exclusivement dans les dividendes mais dans l’investissement, dans l’entreprise et dans son environnement. Quelques exemples d’entreprises engagées : Danone, Patagonia, Bonduelle, mais aussi plus près de nous, https://www.barjane.com/ à Fuveau (13) dans le secteur de la Logistique, ou La Ruche qui dit Oui https://laruchequiditoui.fr/fr, que pas mal de consommateurs fan des achats en direct des consommateurs connaissent. Ou encore https://www.nutriset.fr/, dans le domaine de l’alimentation compensant les carences alimentaires.
La crise Coronavirus montre que l’économie basée sur les seules exigences de rentabilité à court terme fragilise nos organisations, les hommes et notre planète. Les entreprises qui sont engagées dans des démarches RSE ont plus de chance de s’en sortir, parce qu’elles ont analysé leurs risques plus en détail et sont mieux intégrées dans la société. On voit en ce moment, à côté des grandes déclarations, des plans d’actions très concrets construits sur le référentiel de la RSE (ISO 26000). Par ici par exemple : The Shift Project : https://theshiftproject.org/article/crise-climat-plan-transformation-economie-chantier-urgence-crowdfunding/
La RSE est donc de moins en moins facultative, et devient un facteur de longévité pour les entreprises : parce qu’elle va de pair avec la rentabilité, et parce qu’elle renforce la résistance des entreprises aux accidents de parcours et la motivation des collaborateurs.
Au regard de tes 3 domaines d’activité, parle-nous des raisons d’espérer dans la période de crise actuelle : Oui, il y en a, en effet.
- Ingénierie système : la crise COVID-19 est une crise systémique, qui a fait prendre conscience plus fortement des interdépendances et donc de l’utilité de l’ingénierie système. Trois exemples :
la société a tenu parce que les gens ont fonctionné en réseau décentralisés. Les réponses locales étaient connectées entre elles (pas par le gouvernement, directement par les individus). Pas grand-chose à voir avec la technologie.
A l’autre extrémité, high tech celle-là, l’intelligence artificielle a joué un rôle positif important dans beaucoup de pays pour le dépistage/traçage/confinement. Même en France elle a été utilisée pour l’analyse des données disponibles sur la propagation du virus. L’application StopCovid pose des problèmes de confiance dans les pouvoirs publics, mais elle est techniquement au point. Beaucoup d’algo-entrepreneurs français ont proposé leurs services, pour éviter les GAFAM.
L’ingénierie de la résilience des systèmes est une discipline déjà éprouvée pour concevoir et réaliser des systèmes qui encaissent les chocs, s’adaptent et se transforment pour durer, en se reconfigurant (automatiquement ou pas). Elle peut être utilisée maintenant dans certains cas (logistique notamment). - Production : l’économie est dominée excessivement par la spéculation financière, même si l’investissement socialement responsable se développe à côté des traders des places boursières. Pendant le confinement, on a vu que l’utilité des métiers n’était pas celle qu’on croyait : les métiers opérationnels, quelquefois très modestes, ont sauvé l’économie tandis que la finance hystérique était sous la table (où étaient les traders pendant le confinement ?). Cela montre que les métiers de Production méritent qu’on y consacre sa carrière. Trop de jeunes ingénieurs partent vers la finance ou les start-up high tech, plus séduisantes évidemment que la gestion de production ou la logistique. On a vu aussi la flexibilité de beaucoup d’entreprises qui se sont mises à fabriquer des matériels sanitaires et maintenant vont reprendre leurs fabrications habituelles. Par exemple une entreprise d’impression 3D que je connais bien : https://icps3d.com/ pour la création de visières. Plus encore avec des entreprises du secteur textile, chimique, cosmétiques…
RSE (Responsabilité Sociétale d’Entreprise) : le but de la RSE, c’est l’utilité sociale des produits et services vendus par l’entreprise. Mais la RSE est un outil puissant et complet d’identification des risques dans tous les domaines, et donc de maîtrise de ces risques. Elle fournit une vision systémique et permet de mettre en place rapidement un plan d’actions adapté aux problèmes à régler et à un progrès continu. Exemple d’actions et de réalisations : https://goodwill-management.com/projets/.
- Management : l’obligation de télétravail, même si elle est partiellement réversible une fois le confinement terminé, a montré la très grande agilité de beaucoup d’entreprises et de collaborateurs. Des gens se sont révélés ! Quasiment toutes les études montrent également des gains de productivité de 5 à 30 %, lorsque les cas d’usage sont adaptés, la technologie requise en place et le management à jour. On a aussi pris conscience directement de la notion d’impact environnemental : tout le monde a compris que le télétravail évite des transports et du stress, mais est générateur d’émissions de CO2 et de réchauffement climatique. On sait que 1 heure en téléconférence = 1 km en voiture en termes d’émissions de gaz à effet de serre. On peut donc assez facilement calculer s’il vaut mieux faire une réunion en virtuel ou en présentiel, en fonction de plusieurs critères : complexité de la décision à prendre en réunion, documents à étudier, distances à parcourir (transports en commun ou pas), confidentialité etc.
Intelligence artificielle : je me mets à niveau en ce moment pour savoir discerner l’utilité des algorithmes dans les processus de l’entreprise : Production, RH, management de projets… Je ne suis pas (et ne veux pas être) un spécialiste de l’IA, mais dans certains cas elle est utile pour être plus efficace, plus équitable, plus réactif etc. et à ce moment-là je sais vers qui orienter le client. Notamment les PME. Je pense que dans la sortie de crise actuelle, c’est un atout de pouvoir disposer des algorithmes et du traitement des mégadonnées pour sécuriser l’activité de l’entreprise. Il faut s’en emparer, et pas seulement subir les GAFAM ou BATX. La conférence CCI Vaucluse en mars, durant laquelle AJR Conseil est intervenue, montre que l’IA est accessible aux PME sans forcément recruter un data scientist ou un programmeur : CRM, contrôles qualité, gestion des énergies et des déchets… L’important est que l’homme reste dans la boucle et puisse intervenir.
Si tu devais changer une chose à propos de ton travail, qu’est-ce que ce serait ? Je ne changerai sûrement pas de spécialité. En revanche, je suis en train de changer la manière de proposer mes services à mes clients dans le domaine RSE. Jusqu’à maintenant j’expliquais que c’était utile et que ça ne dérangeait pas le business. Maintenant je vais expliquer que c’est le meilleur outil pour déminer les risques de l’entreprise et pour résister en période difficile, parce que la RSE oblige à partager ses objectifs avec ses clients, fournisseurs, administration…
Que t’inspire cette période de post confinement : Pour l’instant la survie de mon entreprise n’est pas en jeu, je traverse la crise sereinement et comme une opportunité. Les ennuis sont devant nous. Je suis vigilant, dans l’anticipation et la recherche de nouveaux projets. D’une manière plus personnelle, cet épisode me ramène à quelque chose de plus raisonnable en termes de vie matérielle.
Belle transition, merci Laurent, passons maintenant à ton portrait :
Ton principal trait de caractère : La curiosité
Ta devise : « Attache ta charrue à une étoile ». Avoir un idéal, mais garder les pieds sur terre (apocryphe de Guy de la Rigaudie « si tu veux creuser ton sillon droit, accroche ta charrue à une étoile »).
Un combat : Une vie économique plus juste. J’ai assez d’expérience pour savoir où il faut agir.
Qu’as-tu appris sur toi pendant le confinement : La nature n’est pas un décor, et de manière plus personnelle, un rappel fort que la fin peut être proche même pour soi. Ne pas gaspiller son temps. Sentiment très fort d’être tous concernés par la même chose, alors qu’habituellement on vit souvent dans sa bulle (même si on a des engagements). Je fais partie d’une famille humaine, dans la durée.
Ce que tu retiendras du confinement : J’ai une prise de conscience plus forte concernant la protection de l’environnement. Mes déplacements professionnels sont plus réfléchis. Désormais je prends le bus et pas la voiture pour les trajets courts. Ayant démontré ma capacité à produire un webinar lorsque j’étais confiné en télétravail, je favorise désormais la visioconférence.
Ton geste écolo : compost systématique. Ça sert d’engrais pour mon potager, la boucle est bouclée.
Ton péché mignon : J’en ai plusieurs 🙂 J’ai toujours un ou deux bouquins quand je voyage. Ça alourdit mon sac mais je ne peux pas m’en passer. Le sabayon au champagne. Les voitures décapotables car en Provence on peut en profiter !
Une musique pour te donner la pêche : Eagles – Hôtel California
Tes paroles de chanson préférées : Les copains d’abord.
Ton blog favori : Novethic, et, … le mien Hyperionlbc car j’y passe beaucoup de temps
Une application indispensable : WA (en famille seulement)
Une initiative que tu aimerais faire connaître : J’ai lancé la production de bière à l’abbaye Saint-Wandrille près de Rouen : Abbaye-SW-bière La seule bière d’abbaye en France , brassée par des moines.
Une bonne pratique à partager pour suivre et réagir à l’actualité : rse-magazine et le groupe RSE de Linkedin. Pour le reste de l’actualité, je fais tout pour ne pas suivre au jour le jour et avoir du recul.
Pour aller plus loin :
https://louerunmanager.com/directeur-industriel-de-transition
© Interview réalisé le 10/06/2020 par www.ajrconseil.com, tous droits réservés
© Photo proposée par notre invité